LES BELLES HISTOIRES DE L’ETE (épisode 3)

12 juillet 2024
Les belles histoires

Je tiens une enveloppe dans mes mains. Je viens de la retrouver, glissée entre les pages d’un livre.  Je ne sais plus ce qu’elle contient. Alors je l’ouvre et soudain, j’entends ton rire fuser. Et cet éclat de joie suffit à déclencher une avalanche de souvenirs. 

Je nous revois sur cette montagne, enroulés dans des couvertures et avec pour seuls témoins la nature grandiose et les derniers rayons du soleil qui viennent mourir à nos pieds. Je nous revois sur cette plage, les cheveux mouillés, avec pour seule nourriture une bouteille de champagne et notre irrésistible envie de dévorer la vie.

Ou es-tu ? Je t’imagine intacte, telle que je t’ai connue, et ma main dessine encore de mémoire les contours de ta chevelure que j’écartais d’une main pour t’embrasser dans le cou. 

Mes doigts fouillent l’enveloppe à la recherche d’autres mots, ceux que j’aurais dû te dire et que par manque de courage, j’ai décidé de retenir. Avais-tu deviné que mon besoin de liberté était trop immense pour tenir entre quatre murs ?

Et moi, pourquoi n’ai-je pas compris que cette immensité te faisait peur et que tu avais besoin d’un nid pour te sentir en sécurité ?

Alors tu m’as quitté sans un mot et je suis parti sans me retourner. J’ai sauté d’un continent à l’autre comme on joue à la marelle dans une cour de récréation géante. Je pensais qu’élargir mes horizons augmenterait mes possibilités. Mais à force de marcher, j’ai fini par revenir à l’endroit où j’étais né.  Comme les saumons, j’ai remonté instinctivement le cours de la rivière, certain de t’y retrouver. 

Ces retrouvailles n’auront peut-être jamais lieu.  Mais tant que le ciel gardera ton empreinte, je continuerai à nager de toutes mes forces dans ta direction, parce que j’ai enfin compris que c’est en profondeur que sont enfouis les trésors.

BLEU ENCRE, Anita Hochstetter

Les belles histoires de l’été (épisode 02)

05 juillet 2024
Les belles histoires

AU DEBUT

Elle lui avait plu dès les premiers instants cette femme dynamique et solaire, dont l’assurance le rassurait. Et c’est probablement ce trait de caractère qui le conduisit sans trop réfléchir à lui proposer de partager sa vie. A cette époque, il n’avait pas compris que son vœux le plus cher était surtout de trouver un espace sécurisant où il pourrait oublier. Oublier qui ? Un voile planait sur ce mystère dont il ne parlait jamai

Gilles n’avait jamais osé avouer à son épouse d’où lui venait cet air perpétuellement absent. Elle s’en était souvent agacée mais comment aurait-il pu lui avouer la vraie raison de son désintérêt sans la blesser ? 

AU MILIEU

De leur union naquit une fille, aussi vive et enjouée que sa mère. Les années ne firent qu’accentuer cette similitude et renforcer une complicité dont Gilles était exclu. Lorsque leur fille fut en âge de voler de ses propres ailes, Gilles sentit l’étau se resserrer. Et c’est à ce moment précis que la vie décida de lui donner une nouvelle chance. 

Dans un sursaut d’indépendance, sa femme lui annonça un soir au dîner qu’elle le quittait. Comme à son habitude, il resta muet, tétanisé à l’idée d’occuper seul cette grande maison remplie de souvenirs. Lorsqu’il vit le camion de déménagement quitter l’allée, quelques semaines plus tard, il sut que sa vie allait irrémédiablement changer.

Un matin, alors qu’il prenait son café, le facteur sonna à la porte et lui tendit son courrier ainsi qu’un pli recommandé qu’il ouvrit fébrilement avant de retourner s’asseoir d’un air las. Les yeux rivés sur le jugement de divorce, il mit quelques minutes à remarquer une enveloppe bleue qui dépassait du paquet. A la vue de l’écriture ronde et déliée qui avait rédigé l’adresse, un frémissement parcourut son échine, ranimant d’un seul coup son corps fatigué. Le cœur battant, il déchira maladroitement le soufflet et extirpa une feuille pliée en quatre d’où s’échappa une petite chaînette en or gravée qui vint s’échouer sur ses doigts.

Sous l’effet conjugué de la surprise et de l’émotion, Gilles sentit sa poitrine se gonfler démesurément. Il ouvrit la bouche pour laisser l’air s’en échapper, comme un nageur reprenant son souffle après une longue apnée. ELLE lui avait écrit !

A LA FIN

Ce matin de septembre, sur le quai de la gare, quelques voyageurs attentifs remarquèrent, amusés, un vieux monsieur habillé avec soin dissimuler dans son dos un énorme bouquet. Lorsque le train entra en gare, le cœur de Gilles commença à faire des bonds inquiétants dans sa poitrine. J’espère qu’il va tenir, songea-t-il, inquiet à l’idée de s’effondrer au moment précis où il recommençait enfin à vivre. 

Puis il la vit descendre du train et le chercher du regard dans la foule, comme on agite une boussole pour retrouver son chemin. Sa longue jupe dansait autour de sa silhouette gracile et cette scène, lorsqu’elle se dirigea vers lui avec le sourire d’une jeune fille, sembla sortir tout droit du scénario d’un film. 

Ce fut magnifique d’observer ces deux corps se soutenir mutuellement dans une étreinte passionnée et leurs solitudes s’incliner devant leur amour retrouvé. Ce fut encore plus beau de les voir s’embrasser dans le tonnerre d’applaudissements qui résonna sur le quai. 

BLEU ENCRE, Anita Hochstetter

Les belles histoires de l’été (épisode 01)

29 juin 2024
Les belles histoires | Storytelling

C’est l’hiver et ce soir-là, elle n’a aucune envie de quitter son appartement. Elle sort d’une convalescence de plusieurs mois et rechigne à l’idée d’affronter l’agitation nocturne. Il faut toute la persuasion de l’amie venue lui rendre visite pour la convaincre de se mettre en mouvement.

La musique emplit ses oreilles et réveille son corps tout juste remis d’une opération compliquée. La première fois qu’il s’approche d’elle, elle le rembarre sans ménagement. Elle l’a vu danser avec d’autres et en déduit qu’il cherche à s’amuser. Ce n’est pas ce qu’elle cherche, elle a besoin d’être choisie.

L’homme s’éloigne mais ne la quitte pas des yeux.  Un peu plus tard, il tente sa chance à nouveau. Allez savoir pourquoi, elle accepte cette fois de partager un verre avec lui. En apparence, tout les oppose. Pourtant, rapidement, une connivence imprévue s’établit entre eux. Avant de la quitter, il lui demandera son numéro.

C’est le printemps. Ils vivent ensemble maintenant. Elle prépare un examen qui la stresse beaucoup. Lorsqu’il rentre du travail, il cuisine afin qu’elle puisse étudier. Le matin, avant de partir, il dépose une orange bien en vue près de l’entrée, accompagnée d’un petit mot : N’oublie pas tes vitamines ma chérie !

C’est l’été. Autour d’eux, la nature ressemble à un écrin. Ce jour-là, ils longent une rivière à pied. – Viens, on traverse, lui dit-il ! Elle enjambe quelques pierres et le suit courageusement dans l’eau glacée jusqu’au moment où une crampe magistrale agrippe son mollet.  La douleur lui arrache une grimace et aussitôt, il revient sur ses pas et la hisse sur son dos. Elle le taquine sur sa force qui décline et ils manquent de tomber plusieurs fois entre deux éclats de rire.

C’est l’automne. Elle est triste et s’endort avec le bras de l’homme aimé autour d’elle. Ce bras qu’elle déplace délicatement parfois, parce qu’il pèse lourd et auquel elle s’accroche certaines nuits, lorsque les cauchemars sont de retour. Ce bras en forme de rempart contre la rudesse de la vie. 

C’est l’hiver à nouveau. Le rouleau compresseur des années a aplati sans ménagement leurs tranches de vie pour en faire de minces feuilles de papier sur lesquelles tout est consigné. Il faudra que je songe à les assembler avant que ma mémoire ne défaille, se dit-elle, sinon comment me souvenir de tout ce que nous avons partagé ? Ses doigts cherchent la main de l’homme aimé pour continuer à tourner les pages du présent avec lui.

BLEU ENCRE, Anita Hochstetter

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