Les belles histoires de l’été (épisode 01)

29 juin 2024
Les belles histoires | Storytelling

C’est l’hiver et ce soir-là, elle n’a aucune envie de quitter son appartement. Elle sort d’une convalescence de plusieurs mois et rechigne à l’idée d’affronter l’agitation nocturne. Il faut toute la persuasion de l’amie venue lui rendre visite pour la convaincre de se mettre en mouvement.

La musique emplit ses oreilles et réveille son corps tout juste remis d’une opération compliquée. La première fois qu’il s’approche d’elle, elle le rembarre sans ménagement. Elle l’a vu danser avec d’autres et en déduit qu’il cherche à s’amuser. Ce n’est pas ce qu’elle cherche, elle a besoin d’être choisie.

L’homme s’éloigne mais ne la quitte pas des yeux.  Un peu plus tard, il tente sa chance à nouveau. Allez savoir pourquoi, elle accepte cette fois de partager un verre avec lui. En apparence, tout les oppose. Pourtant, rapidement, une connivence imprévue s’établit entre eux. Avant de la quitter, il lui demandera son numéro.

C’est le printemps. Ils vivent ensemble maintenant. Elle prépare un examen qui la stresse beaucoup. Lorsqu’il rentre du travail, il cuisine afin qu’elle puisse étudier. Le matin, avant de partir, il dépose une orange bien en vue près de l’entrée, accompagnée d’un petit mot : N’oublie pas tes vitamines ma chérie !

C’est l’été. Autour d’eux, la nature ressemble à un écrin. Ce jour-là, ils longent une rivière à pied. – Viens, on traverse, lui dit-il ! Elle enjambe quelques pierres et le suit courageusement dans l’eau glacée jusqu’au moment où une crampe magistrale agrippe son mollet.  La douleur lui arrache une grimace et aussitôt, il revient sur ses pas et la hisse sur son dos. Elle le taquine sur sa force qui décline et ils manquent de tomber plusieurs fois entre deux éclats de rire.

C’est l’automne. Elle est triste et s’endort avec le bras de l’homme aimé autour d’elle. Ce bras qu’elle déplace délicatement parfois, parce qu’il pèse lourd et auquel elle s’accroche certaines nuits, lorsque les cauchemars sont de retour. Ce bras en forme de rempart contre la rudesse de la vie. 

C’est l’hiver à nouveau. Le rouleau compresseur des années a aplati sans ménagement leurs tranches de vie pour en faire de minces feuilles de papier sur lesquelles tout est consigné. Il faudra que je songe à les assembler avant que ma mémoire ne défaille, se dit-elle, sinon comment me souvenir de tout ce que nous avons partagé ? Ses doigts cherchent la main de l’homme aimé pour continuer à tourner les pages du présent avec lui.

BLEU ENCRE, Anita Hochstetter

L’histoire de Fleur

25 janvier 2024
Storytelling

Je fais sa connaissance dans l’un de mes ateliers d’écriture. Appelons là : FLEUR.

Fleur est élégante, féminine et habillée avec soin. Ses yeux sont clairs et son regard est franc. Lorsque je lui demande ce qui l’a motivée à assister à mon atelier, elle m’explique qu’elle a souhaité faire plaisir à sa fille, passionnée d’écriture. 

Nous commençons à travailler ; je propose différents exercices, que moi aussi je réalise, Mon approche est bienveillante et intuitive. Mon objectif :  favoriser l’expression personnelle dans un espace où les membres se soutiennent et s’inspirent mutuellement.

Au début, Fleur remplit son petit cahier d’une écriture régulière et penchée, comme une petite fille appliquée.  Lorsqu’elle a terminé, elle me regarde avec un air de défi, l’air de dire : Vous voyez ? J’ai déjà terminé !

Vient le moment où nous partageons nos écrits. Fleur écoute les participants lire leur texte et lorsque vient son tour, elle s’excuse : 

– Je n’ai pas fait d’études comme ma fille, alors bien-sûr, je n’ai pas grand-chose à dire.

Je la rassure et lui explique que le but de l’atelier n’est pas de se juger et que nous avons tous des choses à raconter.  Alors, petit à petit, elle se détend et nous parle de son époux décédé qui lui manque tant, des amis qu’elle voit partir et du club de tricot qu’elle anime pour rester active.

Elle nous raconte la beauté de la nature, l’automne et ses couleurs, les guerres dans le monde et la chance qu’elle ressent d’être en vie pendant que d’autres perdent la leur.

Elle nous explique comment, chaque matin, elle établit son programme de la journée.

 – Vous comprenez, dit-elle, à mon âge, il faut trouver des raisons de se lever ! Je ne vous l’ai pas encore dit, mais vous l’aurez sans doute deviné : Fleur n’a plus 20 ans depuis longtemps.

Le dernier jour de l’atelier, Fleur m’apporte un petit cœur multicolore tricoté de ses mains, emballé dans une boîte en carton qu’elle a confectionnée.

 – J’en offre souvent aux gens dans mon quartier, me confie-t-elle, et ils sont toujours très touchés.

Emue, je le suis moi aussi. Je regarde Fleur s’éloigner et je songe aux rythmes de la nature. Notre vie lui ressemble, elle a ses saisons et ce n’est pas parce que l’hiver est là que la terre n’a plus rien à offrir. Au contraire ! Comme le fait si bien Fleur, la nature met à profit ce temps de jachère afin d’offrir à d’autres l’occasion de grandir.

BLEU ENCRE, Anita Hochstetter

Photo Instagram @seemyparis

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