Des mots pour construire des ponts
23 juillet 2024Chronique
Hier matin, en prenant mon petit déjeuner, je lis qu’une mère de famille originaire d’Érythrée, au bénéfice d’un titre de séjour depuis plusieurs années, prend le bus avec ses deux enfants. Quelques arrêts plus loin, une dame entre et les voyant, saisit l’un des deux jeunes garçons et l’arrache violemment de son siège en l’invectivant de propos racistes. L’enfant est précipité par terre sous le regard médusé des passagers.
Cette histoire ne vous rappelle-t-elle pas quelque chose, ou plutôt quelqu’un ? Une femme noire américaine qui un jour de décembre 1955 refusa de céder sa place dans le bus à un passager blanc ?
hroniqueAu-delà de l’incompréhension que suscite en moi ce geste de la part d’une adulte envers un enfant, c’est sa violence gratuite qui me sidère. Que peut retenir un enfant d’une telle intervention, sinon de la peur et de l’incompréhension ? Quelles images vont s’imprimer à vie dans son inconscient sur la place qui lui revient ?
Dans ce fameux bus, une seule personne semble être intervenue pour manifester sa désapprobation, les autres se sont tus. Et leur silence a parlé pour eux. Racisme inconscient ou manque de courage ? Qu’aurais-je fait leur place ?
Beaucoup de gens affirment ne pas être racistes. Pourtant, dès que l’on aborde certains sujets, leurs propos deviennent ambivalents, voire se teintent d’un sentiment de supériorité à peine voilé, celui-là même qui fait le lit des discriminations. Comme le dit la professeure Patricia Roux dans un article sur le sujet : « Nous avons tendance à considérer tout ce qui sort de notre cadre comme étant inférieur.
Mais le racisme qui m’effraie le plus est celui qui se cache et ne dit pas son nom. Celui-là est dangereux parce que comme une maladie infectieuse, il évolue à bas bruit et ce n’est qu’au moment où il explose que l’on prend conscience de la gravité de la tumeur et de l’ampleur de ses ramifications.
Et c’est parce que j’ignore comment lutter contre ce fléau que j’écris. Se sentir impuissant ne signifie pas que l’on doive se taire. Au contraire. Les mots ancrent la réalité dans les faits et peuvent construire des ponts au-dessus des inégalités.
Et ce sont bien les mots calmes et courageux de l’américaine Rosa Parks qui lui ont permis un jour de faire valoir ses droits et de faire triompher la déségrégation.
BLEU ENCRE, Anita Hochstetter